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Lutte contre les agressions sexuelles : la portée des mesures prises par Uber France

Publié le
23/1/2020
Lutte contre les agressions sexuelles : la portée des mesures prises par Uber France
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Le fléau des violences faites aux femmes a eu un retentissement mondial en novembre dernier, avec la 4ème  Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, pour laquelle des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues du monde entier.

Au-delà d’un éveil des consciences, les mouvements « Balancetonporc » et « Metoo » ont été suivis d’une augmentation significative du nombre de plaintes pour viols et violences sexuelles en 2018.

En effet, le bilan statistique « Insécurité et délinquance » publié par le Ministre de l’Intérieur en 2019 souligne une augmentation de 17% des plaintes pour agression sexuelle et de 20 % de celles déposées pour viol, portant le nombre total de dépôt de plaintes à 8100…

Dans le viseur de Marlène Schiappa, Secrétaire d’état, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, la Société UBER France, après que plus de 700 témoignages d’agressions sexuelles par des chauffeurs UBER sont arrivés sur les réseaux sociaux sous l’hashtag #UberCestOver. 

La célèbre plateforme a ainsi été accusée de ne pas garantir une sécurité suffisante pour les passagères, placées dans une situation de particulière vulnérabilité lorsqu’elles rentrent seules.

La Société UBER France a également été accusée de vouloir minimiser l’existence de telles dérives et préserver l’entreprise en protégeant ses chauffeurs au détriment des victimes, notamment en s’abstenant de rapporter systématiquement aux pouvoirs publics les faits délictuels ou criminels. 

Pour quelle raison est-il difficile d’engager la responsabilité pénale de la Société UBER France, et quelles solutions cette dernière a récemment tenté d’y apporter ?

 

L’irresponsabilité pénale de la Société UBER France en cas d’agression sexuelle

Les sanctions pénales encourues par un chauffeur VTC sont de cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende en cas d’agression sexuelle, et de quinze ans d’emprisonnement en cas de viol.

A titre d’exemple, un chauffeur VTC a récemment été condamné à huit ans d’emprisonnement ferme pour le viol en 2016 d’une usagère de 25 ans en première instance, condamnation confirmée en appel.

Engager la responsabilité civile d’UBER FRANCE ?

Mais qu’en est-il des responsabilités pénale et civile encourues par le géant américain à l’origine des recrutements de ses chauffeurs ?

Concernant sa responsabilité civile (dommages intérêts dus à la victime en cas de condamnation), le mécanisme est simple. Lorsqu’un chauffeur UBER engage sa responsabilité pénale, il engage également sa responsabilité civile à l’égard de la victime, permettant ainsi l’allocation de dommages intérêts en réparation du préjudice physique/moral que celle-ci aura subi.

La Jurisprudence de la Cour de cassation admet donc ainsi qu’en vertu du principe de responsabilité civile du fait d’autrui, la victime a également la possibilité d’engager la responsabilité civile de la Société UBER France, en sus de celle du chauffeur l’ayant agressé.

En conclusion, il est donc à noter qu’en cas de condamnation pénale d’un chauffeur VTC, la société qui l’emploie sera débitrice des indemnités civiles allouées à la partie civile, un avantage notoire pour les victimes, qui auront face à elle une société solvable et florissante permettant leur indemnisation rapide et intégrale.

En revanche, la société VTC pourra alors engager une action récursoire contre son chauffeur afin d’obtenir le remboursement de ces sommes.

UBER FRANCE  peut-elle être responsable pénalement ?

Concernant la responsabilité pénale de la société UBER France, la question est plus complexe.

En effet, l’article 121-1 du Code pénal prévoit en ces termes que « Nul n’est responsable pénalement que de ses propres faits ».

A la lecture de cet article, la société UBER France ne saurait donc être tenue responsable pénalement des agissements des chauffeurs VTC qu’elle emploie.

Surtout, la société UBER France est une personne morale et non physique, et l’article 121-2 du Code pénal, prévoit en ce sens que « les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121- 4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

En l’occurrence, dans la mesure où le chauffeur VTC, en commettant une agression sexuelle, ne commet pas l’infraction « pour le compte » de la société qui l’emploie, cette possibilité est immédiatement évincée…

Il n’existe donc aucun moyen de mettre en cause UBER France directement pour ne pas avoir été vigilante dans son processus de recrutement et ce, malgré le caractère particulier de la prestation de service fournie qui place la victime en une situation de vulnérabilité et de contrainte face à son agresseur.

En effet, soucieux d’avoir de plus en plus de conducteurs pour répondre aux exigences des utilisateurs, UBER France a été soupçonnée de fermer les yeux sur certaines pratiques frauduleuses, notamment l’utilisation de fausses cartes professionnelles ainsi que la multiplication des faux chauffeurs.

Ce comportement frauduleux consiste en effet, pour une personne dont le casier judiciaire est vierge, à créer un faux compte de chauffeur UBER France, et à le confier ensuite, moyennant une contrepartie financière, à une autre personne qui ne pourrait a priori pas devenir chauffeur dans les conditions réglementaires au regard de ses antécédents judiciaires.

Certes, ces phénomènes n’épargnent pas non plus les sociétés de taxi même si l’ampleur paraît réduite par rapport aux plateformes VTC, et ce probablement en raison du risque encouru par les chauffeurs de se voir retirer leur coûteuse licence en cas de commission d’infraction…

Par ailleurs, contrairement à son homologue américain, UBER France (ainsi que les autres plateformes de VTC) n’a pas (encore) fourni de rapport des infractions commises à bord de ses véhicules de sorte qu’il est impossible de connaître aujourd’hui le nombre précis de victimes.

Dans un communiqué du 12 décembre 2019, la direction de la plateforme de VTC a en effet souligné « la force et le courage des témoignages » et a admis que « les témoignages poignants qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux et dans les médias ces dernières semaines (…) ont rappelé la responsabilité d’UBER et la nécessité d’être exemplaire quand il s’agit de la sécurité de millions d’utilisatrices ».

Conscient de la nécessité de renforcer – du moins en apparence – la sécurité des courses de son entreprise, UBER France a ainsi largement communiqué sur les mesures qu’elle envisageait de mettre en place dans un avenir proche.

Ces mesures nous apparaissent critiquables à plusieurs égards bien que démontrant un effort sérieux de la plateforme.

  

Les réponses proposées par UBER France

Ø  Un outil de reconnaissance faciale

Le 16 décembre 2019, UBER France a créé un logiciel de reconnaissance faciale sollicitant le chauffeur débutant sa journée de courses, de prouver qu’il est bien le titulaire du compte en étant derrière le volant. Une capture d’écran du profil du conducteur sera alors envoyée et comparée en temps réel avec la photographie du compte de référence enregistrée sur le profil.

Portée de la mesure : si la mise en place d’un tel dispositif semble pouvoir réduire en théorie le problème des faux chauffeurs, les usurpations d’identité font néanmoins douter de l’efficacité de cette mesure, ainsi que la CNIL l’a souligné dans son avis du 15 novembre passé. Cet outil sera néanmoins fortement dissuasif pour les moins téméraires.

Ø  L’assurance d’un accompagnement et d’un soutien aux victimes

Désormais, les victimes pourront partager/signaler toute situation de harcèlement ou d’agression sexuelle qu’elles ont pu subir, y compris dans le passé.

Pour utiliser cette fonction, les utilisateurs devront ouvrir l’onglet « centre de sécurité » dans l’application et appuyer sur un bouton, lequel composera directement le numéro des urgences.

Grâce à son système de géolocalisation, UBER France indiquera la position actuelle de l’utilisateur en temps réel afin d’informer les autorités le plus précisément possible.

D’ici la fin de l’année 2020, un outil permettant le rappel de la victime en moins de trois minutes après un signalement devrait également être mis en place.

D’autres collaborations sont envisagées avec d’autres associations (HandsAway, SOS Homophobie, Stop Harcèlement, …) afin de lutter contre les violences sexuelles.

C’est dans cette même logique que l’entreprise s’est également engagée à contacter de manière proactive les forces de l’ordre en cas de plainte afin de garantir le bon déroulement de l’enquête.

Portée de ces mesures : ce système ambitieux risque – à moins d’un canal privilégié avec les services de maintien de l’ordre – de se confronter aux difficultés rencontrées communément par les citoyens à obtenir l’intervention rapide des services de police.

Davantage, une mise en situation rapide permet à tout un chacun de comprendre la difficulté, voire l’impossibilité manifeste pour la victime d’une agression de se rendre sur l’application, puis dans cet onglet « sécurité » et de signaler son agression en temps réel.

Ø  Un blocage automatique préventif du compte de l’agresseur (chauffeur ou client) immédiatement après un signalement

Portée de la mesure : cette mesure semble tout à fait bénéfique, dans la mesure où l’individu sera répertorié et bloqué par la société UBER France, le temps que la situation soit éclaircie. En cas d’agression avérée, l’individu ne pourra alors plus jamais exercer l’activité de chauffeur VTC, ou encore faire appel aux services de cette société concernant les usagers. 

Reste qu’il faudra que la plateforme exerce un contrôle particulier et renforcé des « faux comptes ».

Ø  Une prévention chez les chauffeurs

dans le but de les sensibiliser davantage à cette problématique sociétale, l’examen de VTC inclut désormais un module obligatoire concernant la prévention des violences sexuelles.

Ø  La création d’une base de données commune

Cette mesure est à l’état de travaux préparatoires, le but étant la création d’une base de données officielle et commune aux différents services de VTC où seraient inscrits les chauffeurs ayant commis des infractions.

Portée de la mesure : la création d’un tel fichier est loin d’être aisée en raison des garde-fous juridiques existants.

En effet, afin de protéger les personnes de tout risque de malversation, la Loi informatique et liberté [1] précise que seules les juridictions, les autorités publiques ou les personnes gérantes d’un service public peuvent mettre en œuvre des traitements de données à caractère personnel relatifs aux infractions, condamnations ou toute autre décision de justice (articles 9 et 10).

En outre, à l’instar du fichier CRISTINA (Centralisation du renseignement intérieur pour la sécurité du territoire et des intérêts nationaux) les traitements de données à caractère personnel ayant pour objet « la recherche ou la constatation des infractions pénales » doivent obligatoirement être autorisés par arrêté pris après avis motivé de la CNIL publié également au Journal officiel (article 26 Loi informatique et libertés).

Ø  Une proposition de soutien par la société UBER France pour retrouver un agresseur présumé

Enfin, les victimes ayant subi des attouchements dans le passé pourront entrer en contact directement avec UBER France, afin d’identifier les informations liées à leurs courses et les transmettre aux forces de l’ordre en vue d’un dépôt de plainte.

C’est sans doute le moins que l’on puisse attendre…

  

En conclusion :

L’image dégradée d’UBER France, tant sur le traitement social de ses conducteurs que sur la sécurité de ses usagers, semble difficile à endiguer.

On peut en effet considérer que si d’un côté les mesures récemment adoptées par les plateformes VTC représentent un pas en avant vers la tranquillité des passagers, elles demeurent quelque peu inefficaces et particulièrement difficiles à mettre en œuvre, pour prévenir la commission des infractions sexuelles ou la poursuite et la mise à l’écart des chauffeurs auteurs d’infractions.

Si l’intention y est, les mesures envisagées ne nous semblent clairement pas à la hauteur du défi pour UBER France pour garantir au mieux la sécurité de ses usagers.

En parallèle de ces réflexions et de la mise en place de ces dernières mesures, « Kolett », une application de VTC « au féminin » permettant aux femmes de commander leur course en temps réel (du 1er au 9ème arrondissement de Paris, dans le 15ème, le 16ème, le 17ème, mais aussi à Boulogne-Billancourt, Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret, dans l’ouest parisien) a récemment vu le jour.

Discriminante ou non, l’application Kolett n’en reste pas moins révélatrice du besoin pour les utilisateurs, et a fortiori les utilisatrices, de se sentir en sécurité lors de ces déplacements, quitte à devoir proscrire les VTC conduits par des hommes…

Sur un plan strictement législatif, il serait intéressant de réfléchir, sans verser dans une inflation législative inutile sur l’ajout d’une circonstance aggravante du fait du lieu de commission de l’infraction, en l’occurrence un véhicule privé destiné au transport des personnes, lequel rend les victimes particulièrement vulnérables ?

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